Le 6 novembre 1940, dans les minutes du conseil municipal, on peut lire la proposition suivante : « Proposé par le conseiller Paul Boulais secondé par le conseiller Joseph Lemaire et résolu que copie de cette résolution soit adressée au Syndicat du Rachat National des rentes Seigneuriales, protestant du fait que les secrétaires municipaux soient obligés de faire gratuitement la collection des rentes seigneuriales, travail pour lequel les Seigneurs payaient et, de plus, que les municipalités soient tenues responsables du montant dû par chaque censitaire ; parce que ce sera une cause d’embarras et de difficulté pour chacune des municipalités dans les seigneuries. » J.-A. Brisson était maire et Gilbert Bonneau, secrétaire-trésorier. Que s’est-il passé, dans l’État du Québec, pour que les conseillers municipaux soient interpellés à réagir à une nouvelle obligation de collecter la taxe seigneuriale ? Et qu’est-ce que cette taxe seigneuriale ?
Un peu d’histoire. Le régime seigneurial est aboli en 1854, quand le Parlement du Canada-Uni promulgue l’Acte pour l’abolition des droits et devoirs féodaux dans le Bas-Canada. Le processus d’abolition du régime seigneurial, qui implique un processus d’indemnisation pour les seigneurs, se prolonge effectivement jusque dans les années 1970 avec la disparition des dernières taxes seigneuriales. C’est ainsi qu’on verse aux seigneurs près de cinq millions de dollars pour la perte des droits de lods (droit que l’on paie à un seigneur sur la vente des biens situés dans son fief) et ventes et autres droits lucratifs, soit l’ensemble des droits qui pèsent sur les censives, ces terres qui ont été concédées par les seigneurs. Du côté des terres concédées, l’État laisse à la charge des censitaires le fardeau de dédommager les seigneurs pour leurs droits perdus. Les censitaires doivent payer une rente annuelle correspondant au montant qu’ils ont payé auparavant. Aucune clause d’indemnisation n’est prévue par la loi, de sorte qu’avec les années, le fardeau des censitaires devient moins lourd. Ce nouveau paiement dure jusqu’en 1940.
En 1940, on crée le Syndicat du rachat national des rentes seigneuriales et cet organisme verse 3,2 millions à ceux que l’on peut appeler les derniers seigneurs québécois.
Mais les censitaires ne sont pas pour autant débarrassés de l’obligation de verser les rentes jusqu’au commencement des années 1970 sous la forme d’une TAXE MUNICIPALE. Changement important : la rente doit être payée en argent, alors qu’auparavant elle était payée en nature (en minots de blé ou en chapons) ; près de 65.000 familles continuent de payer cette rente dans un Québec qui compte alors trois millions d’habitants. Mais l’année 1940 marque le moment où les seigneurs ne peuvent plus prétendre à aucun titre seigneurial.
Pour les municipalités, la conséquence est qu’elles doivent percevoir cette taxe. Donc surcharge de travail pour les officiers municipaux. C’est à ce moment et à ce propos que les conseillers municipaux de Sainte-Brigide grincent des dents et réagissent, manifestant au gouvernement leur désaccord par la résolution citée au début.
Évidemment la résolution du conseil municipal de Sainte-Brigide ne réussit pas à modifier la position gouvernementale et les conseillers municipaux de Sainte-Brigide digèrent leur défaite et ruminent leur rancune dans l’indifférence la plus totale du reste de l’univers…
C’est ce qu’il faut déduire de la proposition du 3 novembre 1941. « Proposé par le conseiller Adonias Fontaine secondé par le conseiller Floribert Trinque et unanimement résolu que la collection des rentes seigneuriales soit faite le 11 novembre pour le côté nord et le 12 pour le côté sud, et ce à la salle paroissiale entre 9 heures et 5 heures de l’après-midi, et que le secrétaire-trésorier soit autorisé d’envoyer un avis à tous les contribuables résidant en dehors de la paroisse, sauf ceux de Ste-Sabine auxquels un avis public sera envoyé et que des reçus soient imprimés pour la collection de ladite rente, le secrétaire-trésorier aura droit à un aide pour ladite collection. » Les propriétaires d’un âge canonique se souviennent sans l’ombre d’un doute de cette taxe.
L’abolition des seigneuries marque la rupture du lien féodal, donc le terme du régime seigneurial au Québec qui avait duré trois siècles.
Luc Lewis. Sources : Histoire. Québec. Vol. 71, no 1 – 2015 et les procès-verbaux de la municipalité de Sainte-Brigide.
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