Sur le rang de la Rivière-Est, il y avait jadis, plantée devant la maison d’Henri Martel, une croix de chemin. Ne la cherchez plus, comme beaucoup de ses compagnes, elle est maintenant au paradis des croix disparues. Cependant, si vous vous avisez de vous quérir de son emplacement, ne la cherchez pas sur le rang de la Rivière est, mais dans la rue Bonvouloir. C’est que ce coin, que les anciens appelaient Honoréville, a subi des transformations majeures à cause de la construction de l’Autoroute 10.
Existe encore, cependant, la maison devant laquelle cette croix tendait ses bras aux passants. Cette demeure se présente maintenant dans un état d’abandon à faire pleurer les cœurs sensibles. Si vous passez aux 1234-1238, rue Bonvouloir, tentez de percevoir, à travers les arbres et les broussailles, la demeure qui ne manquait pas à son époque d’une certaine magnificence.
On peut penser que la croix du rang de la Rivière-Est fut érigée vers 1890 par Luc Demers, afin d’obtenir la guérison de son épouse, Adèle Brodeur, fille de Pierre Brodeur et de sa première épouse, Charlotte Martel. Ce même Pierre Brodeur est le père d’Alphonsine Brodeur, la mère de celle-ci est Marguerite Auclair.
Ce qui permet de faire cette affirmation, c’est ce texte trouvé dans les archives des Brodeur. « Le 5 novembre 1890, Adèle, malade, dicte son testament par devant le notaire Georges-Auguste Legault de St-Césaire. Elle lègue $2000.00 à chacun de ses enfants Philias et Clara et exige que Clara poursuive son instruction pendant 4 ans au couvent. Sont témoins, Honoré Neveu, marchand et Godfroy Tessier, cultivateur. Luc fait ériger une croix en face de la maison pour la guérison de son épouse. Adèle décède le 4 avril 1891, à l’âge de 53 ans. »
Luc Demers a vendu sa terre à Henri Martel en 1906. La croix se dressait encore en face de la maison, de l’autre côté de la route. Un magnifique clair de lune illumine la première nuit des nouveaux époux dans la grande chambre, à l’étage de leur nouvelle demeure. S’approchant du lit, ils aperçoivent l’ombre de la croix projetée au milieu de leur couchette. Ils restent songeurs… ne pouvant s’empêcher de penser qu’ils auront une croix à porter…
À l’époque d’Henri, les écoliers et les voisins se réunissaient devant cette croix au mois de mai, mois de Marie, pour le chapelet. C’était une croix en bois peint en blanc et, selon certains, ses extrémités auraient été vertes. Il y avait probablement une niche avec une statue de la Vierge à sa base mais on n’en est pas certain.
La terre a été vendue à Paul-Émile Martel, fils d’Henri, en 1948. Dans les années 1950, les enfants allaient jouer dans cet espace clôturé qui faisait une petite maison. La croix était encadrée de deux lilas à cette époque.
Cette croix a été enlevée par Paul Martel, peut-être quand le chemin a été élargi vers 1960, peut-être quand le séchoir à tabac a été déménagé chez Marcel Viens au rang des Écossais vers 1961-62. Semble-t-il qu’elle commençait à pourrir aussi…
Colombe Martel et Luc Lewis. Décembre 2013