En 1923, M. Ival Paquette, venu de l’Ange-Gardien, achète la boulangerie du village qu’il exploite seul l’année suivante. Après son mariage, en 1924, il démolit cette boulangerie pour en construire une nouvelle, attenante à sa résidence. Avec l’aide de personnel, il opère cette boulangerie de 1924 jusqu’au début des années soixante.
M. Eugène Denicourt a été boulanger pendant 25 ans, suivi de M. Raoul Ariel qui lui a succédé pendant de nombreuses années (soit une quinzaine), puis ce fut la fin de la boulangerie à Sainte-Brigide. M. Ariel faisait non seulement du bon pain, mais aussi des pâtisseries. Il cuisait les pâtisseries habituellement le vendredi après-midi. Mon Dieu que cela sentait bon dans le village lorsque le vent portait les odeurs du bon pain et autres pâtisseries sortant du four! Je m’en souviens très bien, car j’étais à l’école du village et quand le vent soufflait depuis la bonne direction, cela sentait bon dans la cour d’école. Oh ! que j’espérais que maman fût allée en acheter! Je me souviens que le boulanger, M. Ariel, faisait des beignes, des brioches aux raisins, de petits gâteaux individuels (des cupcakes, en langue de Shakespeare).
Comme l’autoroute des Cantons de l’Est n’était pas encore construite, beaucoup de villégiateurs de Montréal, en route vers l’Estrie, passaient devant la boulangerie; c’était devenu un arrêt obligatoire pour plusieurs. On respectait aussi la règle de la «douzaine du boulanger ». Comme à cette époque-là, il y avait encore des familles nombreuses, il n’était pas rare que certaines familles achetassent au moins une douzaine de pains. On leur donnait alors le 13e pain. La boulangerie était plus qu’un fournisseur de pains, elle rendait entre autres le service suivant : après une fournée, lorsque le four était encore chaud, plusieurs femmes du village venaient porter leur pot de fèves au lard le soir pour une cuisson de nuit « gratuite ». Au début, mon grand-père avait engagé un ou des livreurs de pains dans les « premières années » de sa boulangerie. L’un d’eux fut M. Emile Soutière. Il peut y en avoir eu d’autres. Cet homme avait différents parcours dans le village qu’il complétait toutes les semaines. Il semble n’y avoir eu qu’un seul livreur à la fois à l’emploi de grand-papa. Je crois que c’est ce qui était attendu d’une boulangerie de village à cette époque. Par contre, il a cessé cette livraison à une certaine époque puisqu’au moment où remontent mes souvenirs, il n’y avait plus de livraison.
On pense que la dernière fournée s’est faite en 1963. Ainsi s’est terminé un beau commerce du village de Sainte-Brigide-d’Iberville. On doit attribuer la fermeture de la pâtisserie à plusieurs facteurs : les gens de Sainte-Brigide ont commencé à aller à Saint-Jean ou à Farnham pour faire leur épicerie du vendredi; ils y achetaient alors leur pain et leurs pâtisseries; de grandes chaînes de boulangerie sont apparues (Weston, entre autres), il devait sans doute être difficile de concurrencer leur prix; il peut y avoir aussi eu un effet pervers « de ce qui est en provenance de la grande ville doit être meilleur » et la voisine fait son épicerie à Saint-Jean… on devrait faire comme elle. En plus de ces raisons, maman me raconte que son frère, suite au décès de mon grand-père, avait pris la relève de l’ensemble boulangerie-meunerie. Les activités de la meunerie étaient en croissance et celles de la boulangerie en décroissance. Mon oncle avait besoin d’un bureau pour la comptabilité et la gestion de la meunerie. Effectivement, après l’arrêt de la boulangerie et la démolition du four, il transforme la boulangerie en bureau pour y effectuer la gestion et la comptabilité de la meunerie.
Jean-Pierre Bonneau. Photo du Fonds Société du patrimoine de Sainte-Brigide. Janvier 2014.