Si Walmart s’auto-encense en se croyant le créateur du magasin qui a tout sous son toit pour satisfaire les besoins du consommateur moyen, il se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude. En effet, nos grands-parents fréquentaient ce type de commerce, qu’ils nommaient le magasin général. Tout village, digne de ce nom, avait son magasin général. Ce dernier avait, dans la plupart des cas, une place privilégiée, au cœur du village, à quelques pas de l’église.
Nos ancêtres y trouvaient des clous, des vis, des serrures, de la peinture, un marteau, de la broche pour faire la clôture, des bottes à eau, de la farine, de la mélasse, du sucre, du café, du thé, des bobines de fil, des rubans, du sirop Deux sapins pour le rhume, le Liniment Ménard pour les rhumatismes, etc.
Il faut reconnaître que Walmart offre des marteaux de plusieurs marques, tandis que le magasin général n’en tenait qu’un en vente. Eh ! Pis après ? Ce n’est pas parce que le consommateur a deux mains qu’il a besoin de deux marteaux…
Ce qu’offrait le traditionnel magasin général qu’on ne trouve dans aucun magasin à grande surface, c’était l’agora paroissiale, c’est-à-dire un lieu où le dimanche, après la grand-messe, les commentateurs de la politique locale et nationale résolvaient à grands coups de gueule tous les problèmes. Fortunat soutenait que les libéraux étaient tous des anticléricaux comme le fut le fondateur de leur parti, Louis-Joseph Papineau, et qu’ils allaient conduire le pays à la banqueroute avec leur manie d’emprunter de l’argent pour financer leur projet. Hercule, l’organisateur du parti libéral, ripostait, dans une envolée oratoire qui se démarquait de la réserve du curé, que les conservateurs, avec leur obsession du déficit, étaient un obstacle à tout progrès. Timothée avait le don de mettre fin aux débats en proclamant que tous les politiciens étaient du pareil au même, pourris et corrompus. C’était alors que les habitants qui demeuraient aux extrémités de la municipalité décidaient d’aller chercher leur attelage qu’ils avaient attaché dans la remise publique.
Durant ce temps, les femmes s’informaient de la grippe du petit Dalphé, de la rougeole d’Amanda et des rhumatismes d’Alphonsine. Dorimène avait obtenu l’approbation de toute la gent féminine en jugeant que le curé avait eu grande raison de condamner les ivrognes et les coureurs de jupon. Albina, croyant déjouer l’attention des autres, avait eu le temps de transmettre à sa voisine un secret que toutes savaient.
Si les enfants avaient suivi leurs parents dans le magasin et tuaient le temps en sautant d’une poche de farine à un baril de clous, à un banc, les jeunes gens étaient restés dehors, cigarette au bec, partageant les farces qu’ils n’auraient jamais osé raconter à leurs parents et glissaient aux oreilles des autres des commentaires sur les filles qui seraient jugés sexistes aujourd’hui, donc inacceptables.
La morale de l’histoire est que le magasin général de nos grands-parents n’a pas été remplacé par Walmart ni par aucun autre magasin à grande surface. En somme, il était plus qu’un magasin, il était une institution qui favorisait la cohésion sociale, la solidarité entre les habitants. Il était, en ces temps, ce que l’agora était pour les Grecs du temps de Démosthène.
Luc Lewis. Photo : Fonds de la Société du patrimoine de Sainte-Brigide. Octobre 2017.