L’honnête homme qui, après un repas copieux, par une belle soirée d’hiver, se retirait dans son salon pour fumer un cigare canadien avec ou sans verre de cognac, savait-il que le tabac qui brûlait au bout de ses doigts et dont la fumée montait en volutes salissant le plafond avait nécessité le travail de plusieurs personnes et subi de multiples opérations complexes. Ce plant de tabac voyait le jour dans une couche chaude, dont le principe est très simple : (explication pour les jeunes) vous délimitez une parcelle de terrain, par exemple 6 pieds par huit, que vous creusez six pouces de profondeur, vous mettez environ un pied de fumier frais que vous recouvrez de terreau ou de compost bien mûr, vous enfermez le tout d’un cadre de bois de 1 pied et demi que vous fermez avec des vitres.
Une vitrine au ras du sol! Dans le terreau, vous semez les graines de tabac. Sous le soleil d’été poussent de jolis plants tout verts que vous éclaircissez avec la délicatesse d’une couturière. Cette première étape franchie, il faut passer à la transplantation de ces jeunes pousses dans les champs qui ont subi déjà les opérations du labourage, de l’hersage, du nivelage, etc. Et voilà, des rangs bien droits de jeunes plants qui croissent sous le soleil du printemps. Mais croissent aussi les mauvaises herbes, donc nécessité de mettre en place l’opération sarclage. Les herses tirées par un cheval débarrassent de leurs herbes les espaces entre les plants, mais les « grattes » opérées à bras d’homme font la finition entre les plants.
À la mi-août, les plants ont atteint la hauteur de 30 pouces. Le cultivateur doit alors les étêter, question d’arrêter la croissance. La fin d’août les plants atteignent leur maturité. Alors, commence la grande corvée de la récolte : couper les plants, les transporter, les enfiler sur des lattes de bois, suspendre ces lattes sur des « raques » faits à cette fin dans le séchoir à tabac. À l’ombre, dans un espace bien aéré, les feuilles de tabac subissent l’opération séchage.
Fin de décembre ou début de janvier, il faut transporter ces lattes de tabac séché dans un lieu où l’on procède à détacher les feuilles de tabac de leur tige pour en faire des ballots bien compactés de 20 kilos environ. Et voilà le tabac prêt à être expédié à une usine où commence la première opération pour transformer ces belles grandes feuilles de tabac en petits cylindres qu’on va appeler cigares. Mais ne transporte pas les ballots de tabac qui veut ni quand on veut : en effet, pour apporter ce produit à la Société coopérative agricole de tabac de Saint-Césaire, il faut un permis spécifique des Douanes canadiennes, valable pour une date précise comme jour de de l’opération, c’est la Société qui se chargeait d’obtenir ces permis et de les transmettre aux producteurs de tabac. À l’usine de Saint-Césaire, on procédait au triage des plants. Cette opération terminée, les feuilles étaient expédiées à Granby à la Compagnie Imperial Tobacco où, enfin, les cigares voyaient le jour… Cette industrie a pris fin par manque de producteurs de tabac dans la région.
Luc Lewis. Sources : Marcel Benjamin conseils. Photos de Luc Lewis, Colombe Martel et Marcel Benjamin. Novembre 2022.