L’importance du régime seigneurial dans l’histoire du Québec ne fait aucun doute. Cette institution a accompagné les premiers balbutiements de la colonisation française en Amérique du Nord. La toponymie du Québec révèle également jusqu’à sa mémoire. Écrire l’histoire du régime seigneurial, c’est donc revenir aux sources du fait français en Amérique du Nord.
Cependant, la persistance des paysages et des toponymes seigneuriaux masque un aspect fondamental : le régime seigneurial n’est pas seulement un mode d’organisation de l’espace, bien que le rapport au territoire soit indissociable de son instauration en Amérique du Nord, c’est également la manifestation tangible d’une société hiérarchisée.
Ses caractères fondamentaux ne peuvent non plus se résumer à une liste de « droits et devoirs » garants d’une réciprocité harmonieuse et d’une interdépendance mutuelle, comme c’est souvent le cas dans les manuels scolaires. Dans son essence, le régime seigneurial implique une relation fondée sur l’inégalité : un chef (le seigneur) et ses subalternes (les censitaires), entre lesquels existe un lien d’assujettissement qui se manifeste par des limites dans la propriété du sol. En vertu de ce système, la terre n’est jamais possédée parfaitement et entièrement ; on la tient de quelqu’un dans un rapport de subordination et à l’intérieur d’une hiérarchie. La seigneurie est donc non seulement un territoire, mais aussi, et surtout, un rapport entre individus, rapport marqué par l’inégalité sociale.
Outre son importance, un second facteur explique l’intérêt porté au régime seigneurial québécois : sa longévité. On pourrait même dire : son refus de mourir. Dès le temps de Champlain, l’esquisse du régime seigneurial est en place, avec les premières concessions de fiefs durant la décennie 1820. L’institution se maintiendra pendant plus de deux siècles, soit bien après la cession du Canada à la Grande-Bretagne par la France (1763). La survie du régime seigneurial sous le régime britannique est intéressante à plus d’un égard et constitue un paradoxe. La seigneurie après la Conquête est présentée à la fois comme une institution qui a favorisé la loyauté des Canadiens à l’égard des nouveaux maitres (par la fidélité des seigneurs reconnaissants) et comme un repoussoir qui a permis la « survivance » des Canadiens français, en les isolant des immigrants britanniques réticents à s’installer en territoire seigneurial.
Luc Lewis. Source : Benoît Grenier. Brève histoire du régime seigneurial. Les Éditions du Boréal 2012. Novembre 2021.